La comédie comme parti pris
Le rire dans le théâtre public est immédiatement suspect, on l’associe (à tort) comme un manque de sérieux… Plus embarrassant, il suffit d’adopter un ton grave et solennel pour paraitre sérieux. Seuls les classiques sont échappent au discrédit; on peut rire avec Molière… Mais qui aujourd’hui se risquerait à parler d’un mariage forcé contemporain sous forme de comédie ? Ainsi il semble acté que les sujets graves doivent être traités avec gravité, la comédie laissée à Marivaux, Jarry et toutes les œuvres que l’épreuve du temps a consacrées comme « classiques ». Cependant et c’est là où la schizophrénie du système se révèle, les équipes de relations avec les publics vont elles se battre constamment, dans le sens contraire; tenter de rassurer les publics sur le fait que « C’est quand même drôle » .
S’il est évident qu’il faut faire attention à la manière dont on manie l’humour, qu’il existe des formes d’humour de plus ou moins bonne qualité, qu’il arrive que l’humour soit grossier ou même blessant quand il n’est pas utilisé pour conforter des systèmes de domination (sexisme, racisme… ), nous pensons cependant que la comédie est un genre noble, injustement décrié. Tout comme le roman policier qui lui aussi a longtemps été regardé de manière suspecte dans la littérature – il l’est toujours d’ailleurs. A contre courant de ce regard (et de cet usage), nous revendiquons de traiter des sujets graves avec légèreté – et assumons ceci : l’humour n’empêche pas de faire un travail de fond, rigoureux scientifiquement sur des sujets tels que l’antiterrorisme, la crise financière, la diplomatie.
Et puisque ce que nous voulons dire a déjà été mieux dit ailleurs voici les mots qu’écrivait à ce sujet Romain Gary dans Les promesses de l’aube.
Attaqué par le réel sur tous les fronts, refoulé de toute parts, me heurtant partout à mes limites, je pris l’habitude de me réfugier dans un monde imaginaire et à y vivre, à travers les personnages que j’inventais, une vie pleine de sens de justice et de compassion. Instinctivement sans influence littéraire apparente, je découvris l’humour, cette façon habile et entièrement satisfaisante de désamorcer le réel au moment où il va vous tomber dessus. L’humour a été pour moi tout le long du voyage un fraternel compagnonnage; je lui dois mes seuls instants de triomphe sur l’adversité. Personne n’est jamais parvenu à arracher cette arme, et je la retourne d’autant plus volontiers contre moi-même, qu’à travers le « je » et le « moi » c’est à notre condition profonde que j’en ai. L’humour est une déclaration de dignité une affirmation de la supériorité de l’homme sur ce qui lui arrive. Certains de mes « amis », qui en sont totalement dépourvus s’attristent de me voir dans mes écrits, dans mes propos tourner contre moi même cette arme essentielle; (…) Je les plains. (…) c’est à la situation humaine que je m’en prends à travers toutes ses incarnations éphémères, c’est à une condition qui nous fut imposée de l’extérieur, à une loi qui nous fut dictée par des forces obscures (…) Dans les rapports humains, ce malentendu fut pour moi une source constante de solitude car, rien ne vous isole plus que de tendre la main fraternelle de l’humour à ceux qui à cet égard, sont plus manchots que des pingouins.